REIMS, 3 décembre à l’aube, évacuation brutale du squat chaussée Bocquaine.
10 décembre 2020 -
Un ami rémois nous transmet des nouvelles de Reims, après celles de Calais et celles de la place de la République à Paris.
Voici deux textes que le collectif Sövkipeu a publiés sur sa page Facebook suite à l’expulsion du squat. L’action de ce collectif est énorme pour les réfugiés. Et ils transmettent les besoins afin que des anonymes aussi puissent aider et créer une chaîne.
Deux textes écrit par des membres du collectif , parce que nous ne resterons jamais silencieux face à l injuste et à la violence .
"L’histoire se répète inlassablement
Il était six heures, en ce matin gris et pluvieux, première heure à laquelle les expulsions sont autorisées, lorsque huit cars de CRS et autant de voitures de police sont venus en force pour évacuer sans ménagement 43 personnes qui occupaient quatre maisons abandonnées de l’allée Bocquaine. Il ne leur a pas fallu longtemps pour défoncer chambres à coups de pied les portes des où se trouvent des familles, des enfants en bas âge, comme s’il s’agissait de criminels. Ils étaient avertis que cet événement était imminent, ils savaient que la police allait venir les déloger, mais cela n’a pas empêché le stress, la peur de la violence policière et aussi, peut-être surtout, la peur de l’incertitude pour leurs vies et celles de leurs enfants. Parmi eux figurent 19 enfants, y compris des tout-petits, à qui il a été signifié que leur entrée dans le monde ne se fait pas par la grande porte. Depuis le début de l’été ces personnes s’étaient réfugiées ici, comme des abris de fortune, tant l’État se moque de l’obligation qui lui est faite d’un hébergement inconditionnel pour les personnes en situation de détresse.
La plupart des personnes ont été dispersées dans des hôtels, à Reims et dans son agglomération de Reims mais aussi à Châlons. Peut-être la crainte que le froid reproduise le drame de Djemla, décédée voici à peine deux ans sur un camp près de la rue Henri Paris. Six ont été conduits au commissariat, dont 5 ont été envoyés au centre de rétention administrative à Metz en vue d’une expulsion. Cette évacuation se déroulait une dizaine de jours après la révoltante agression faite contre les exilés de la place de la République, comme un écho, moins spectaculaire mais tout aussi traumatisant pour les victimes.
Très vite, une poignée de personnes se regroupaient, non pas pour s’opposer tant la résistance est illusoire face à un tel déploiement de force, qui leur interdisait de s’approcher, les contraignant à observer, de loin, impuissants. Ils venaient pour se renseigner, pour témoigner, pour transmettre, surtout pour s’inquiéter de l’avenir de ces personnes. Des destins qui s’échouent contre le mur de l’intolérance construit depuis si longtemps par des pouvoirs qui croient certainement que certaines vies humaines valent moins que d’autres.
Une histoire qui se répète, parc Saint-John Perse, rue Henri Paris, rue de Cernay, boulevard Wilson, allée César Franck, et tant d’autres lieux où des exilés ont cherché à trouver un refuge que l’État leur refusait. Avoir fui le danger qui les guettait dans leur pays n’a pas suffi à ce que leur soit accordée la protection, tant les conditions d’accueil se sont durcies ces dernières années, sur fond de racisme institutionnel."
Reims, 3 décembre 2020
Fabien Tarrit pour le Collectif Sövkipeu
"Bonsoir,
A propos de l’actualité récente à Reims, l’expulsion d’un squat, allée Bocquaine, par la police hier, voici ce que nous en pensons et que nous faisons savoir le plus largement possible, convaincus que, dans la situation actuelle, il faut dire ce que nous pensons, même et surtout si c’est discutable :
Il se passe à Reims, sous nos yeux, ce qui se passe dans tout le pays. Des attaques en règle contre les gens les plus démunis.
L’évacuation, ce matin du 3 décembre 2020, à l’aube, du Squat Chaussée Bocquaine en est le dernier épisode.
En réalité, cela fait la 4 ème évacuation de Squat que subissent ”ces laissés pour compte”. La première avait déjà eu lieu rue de Cernay. La seconde, début décembre 2019, c’était le campement de la rue Henri Paris, sous ”protection” des gardes mobiles, avec l’aide d’un bulldozer qui a eu raison du terrain de foot du quartier voisin. 6 mois après, en Juin 2020, il y eut une autre intervention dans un immeuble, au quartier Wilson, que le Foyer Rémois, office d’HLM, avait exigé pour évacuer 6 familles avec leurs enfants et quelques célibataires d’un immeuble à démolir (il est toujours debout). Cette fois ci, c’est toute une armada de CRS, de police nationale, de police municipale et de taxis réquisitionnés pour transporter ces gens en ordre dispersé vers les hôtels de la région, sans oublier des ouvriers pour barricader les portes et les fenêtres.
Est ce illégal ? Que non ! Le ”protocole” a été respecté : il y a eu une plainte de la mairie (propriétaire des lieux qui étaient à l’abandon depuis longtemps et vont sans doute le rester encore), un jugement favorable d’un tribunal et l’ordre d’expulsion par le sous préfet.
Pourquoi un squat ? tout simplement parce qu’entre la rue, la pluie, le froid, l’insécurité qui sont proposés à une majorité de ces nouveaux arrivants et un toit, amélioré en bricolant avec un peu de confort, et où la solidarité peut s’organiser, le choix est vite fait. D’ailleurs de tels lieux, organisés par des individus, des associations existent, certes provisoires mais dignes et sécurisés par la solidarité de beaucoup de monde, et s’ils n’étaient pas découragés, pour être en plus grand nombre ”quelle mouche viendrait piquer” des sans abris pour ne pas les accepter. Ne dites pas que c’est un lieu ou viennent se réfugier les délinquants et autres ”séparatistes” ! La police par des contrôles et convocations répétés connaît par coeur les occupants et n’a trouvé aucune autre trace de délit que cette occupation.
Qui sont ces gens, pris dans cette situation absurde, ces ”expulsés en situation irrégulière” parce qu’on ne leur a pas laissé d’autre choix ? il suffit de discuter quelques temps pour montrer qu’ ”une situation régulière”, çà n’existe pas pour eux. Ainsi en ont décidé les autorités qui refusent de prendre en considération que ces gens démunis de tout, qui ont tout perdu pour la plupart, ont simplement voulu fuir leur pays d’origine et se refaire une vie.
Ce sont les règlements qui ne sont pas adaptés à la situation. En réalité nous voyons se déployer tout une gangue répressive, bureaucratique et policière qui rend leur vie impossible. La mise en scolarité obligatoire des enfants traîne en longueur sur des détails administratifs qui ne sont pas exigés la plupart du temps de la plupart des enfants ; les problèmes de santé, de moins en moins pris en charge, ne peuvent trouver solution que par un passage au service des urgences dont tout le monde s’accorde à dire qu’il faut éviter à tout prix la surcharge.
Ce récent déploiement policier, anormal en fait, montre bien que le préfet rejette toute l’aide apportée par les personnes individuelles soit au sein d’associations soit même au sein de ses propres services. L’annulation par le sous préfet en personne des tentatives de l’ARS pour tester-covid les gens du squat (ce qui n’est pas absurde, tout le monde sait que l’épidémie est toujours préoccupante) en prétendant les tester une fois arrivés dans les hôtels ou les lieux d’expulsion est en contradiction flagrante avec les mesures de lutte contre la pandémie.
Toutes les initiatives d’entraide, à quelque niveau que ce soit, manifestent quelque chose que l’Etat n’a pas et ne fait pas : une conception du pays selon laquelle ici on accueille les gens, et on ne les met pas à la rue.
A partir de là, à partir de ce que font les gens qui accueillent et accompagnent ces personnes déplacées, on peut discuter des situations réelles, on peut rechercher comment traiter ces problèmes et difficultés. L’inverse, c’est aller vers la guerre entre les gens."
Denis Toussaint et Etienne Maquin à Reims, le 04/12/2020
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