Emmanuel (Macron) et Mamadou...

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Emmanuel (Macron) et Mamadou...

29 mai 2018 -

Dans Libération du 28 mai 2018.

Emmanuel et Mamoudou
Pour le fun, on ne résiste pas à la tentation de citer les deux tweets d’Esther Benbassa, très estimable sénatrice qui ne semble guère obsédée par le souci de cohérence. Commentant la décision d’Emmanuel Macron recevant à l’Elysée Mamoudou Gassama, le jeune Malien qui a risqué sa vie pour sauver un enfant accroché dans le vide au balcon d’un immeuble parisien, elle écrivait ceci :

« La com à l’état pur. Emmanuel Macron reçoit Mamoudou Gassama le migrant héroïque. Pendant ce temps, sa police continuera de pourchasser tous ses frères d’infortune et de harceler les solidaires qui leur viennent en aide. Sinistre et immorale comédie d’un pouvoir sans principes. »

Mais la veille au soir, réagissant à l’acte d’héroïsme du même migrant, elle tweetait cet appel fiévreux : « Homme courageux, plein d’audace, auquel un enfant de France doit la vie, Mamoudou Gassama doit voir sa situation régularisée sans délai. Il incarne les valeurs de solidarité et d’humanisme que la République se doit d’honorer et de promouvoir. Merci à lui de tout cœur. » Que n’aurait-elle dit si le Président, appliquant strictement la politique en cours, avait négligé son appel, omis de saluer le geste du sauveteur et refusé de modifier la situation juridique de Mamoudou Gassama ? A vouloir s’opposer à Macron quoi qu’il fasse, en mal ou en bien, on finit par perdre tout crédit.

Bien sûr, Emmanuel Macron, expert en communication instantanée, a vu tout de suite le bénéfice moral qu’il pouvait tirer de ce geste courageux massivement médiatisé. Après une entrevue à l’Elysée, elle-même télévisée, il a été décidé que Mamoudou Gassama, jusque-là dépourvu de titre de séjour, serait régularisé, bientôt naturalisé et probablement intégré dans le corps des sapeurs-pompiers. Faut-il s’en plaindre ? Après tout, si un homme politique tire avantage d’une décision humaine en faveur d’un sans-papiers, quelles que soient ses motivations, n’est-ce pas une bonne nouvelle ? Ceux qui le critiquent doivent se demander ce qu’ils auraient dit si Emmanuel Macron avait pris la décision inverse… A moins de jeter, comme Esther Benbassa, toute espèce de logique par-dessus les moulins.

D’autres stigmatisent l’incohérence qu’il y aurait à régulariser un sans-papiers et à laisser les autres affronter les rigueurs d’une politique migratoire que le gouvernement vient de renforcer par le truchement des lois votées sous l’égide de Gérard Collomb. Encore une erreur logique : en distinguant un homme au comportement exceptionnel, le Président a bien précisé qu’il s’agissait d’une décision exceptionnelle, qui ne changeait rien à sa politique envers les immigrés sans-papiers. Comme on dit dans ces cas-là, l’exception confirme la règle. Ce qu’il faudrait critiquer en l’occurrence, c’est plutôt son excès de cohérence…

Il y a une autre manière de considérer ce fait divers qui prend valeur d’exemple. L’acte héroïque de Mamoudou Bassama n’a rien à voir avec sa condition de réprouvé ou son statut juridique incertain. C’est un geste qui procède de la simple humanité, magnifié par le danger qu’il a couru. Il exprime, sans calcul, le réflexe de solidarité qu’on observe sous toutes les latitudes et dans toutes les cultures, où le courage individuel, et la couardise, sont également répartis. Il démontre, dans sa simplicité, que les valeurs universelles, principes généraux s’il en est, n’ont rien d’abstrait ou de théorique. Ils relèvent au contraire de cette « common decency » dont parlait Orwell, ou encore de cette notion de fraternité inscrite au fronton des bâtiments publics en France, qui ne vaut pas seulement pour les Français ou pour les résidents réguliers, mais s’applique à l’ensemble du genre humain, comme une règle élémentaire de la v ie en société. Non pour ouvrir toutes grandes les frontières, ce que personne ou presque ne réclame. Mais pour traiter ceux qui sont ici et ceux qui viennent d’ailleurs, avec le souci d’une égale dignité. En ce sens, et en ce sens seulement, on peut stigmatiser la contradiction qui entache le geste présidentiel.

LAURENT JOFFRIN

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